
Recommandations pour une prévention adaptée contre la propagation de l’insécurité vers les pays du littoral ouest africain
À propos des auteurs:

Habibou Bako : Il est actuellement Associé au Plaidoyer pour le Sahel au sein de l’équipe des Affaires mondiales et des partenariats de Search for Common Ground. Il est doctorant en Sciences politiques à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, où il est chargé des travaux dirigés dans le cadre du Master en Relations Internationales, Études de sécurité, Gestion des conflits et Politique de paix. Habibou a également été Chargé de Recherche à l’Institut d’Études de Sécurité (ISS).

Allassane Drabo, PhD : Il est actuellement le Directeur Régional pour l’Afrique de l’Ouest à Search for Common Ground. Il a une dizaine d’années d’expérience sur les questions Humanitaires, de Paix et de Développement. Il est titulaire d’un Doctorat en Études des Civilisations de l’Université de Nice Sophia Antipolis, en France.
Résumé
Cette note propose des pistes de solutions qui s’inspirent des enseignements tirés de plus d’une décennie de travail dans la consolidation de la paix et la lutte contre le phénomène multidimensionnel de l’insécurité au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad. Elle s’appuie en particulier sur les résultats obtenus par l’Organisation non gouvernementale Search for Common Ground (organisation pour laquelle travaillent les auteurs) en matière de prévention de l’extrémisme violent, de stabilisation des zones transfrontalières, de gouvernance et de cohésion sociale
Introduction
Le 22 août 2022, une attaque attribuée à un groupe extrémiste violent a ciblé une patrouille des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) du Togo dans le Nord du pays[2]. Cette attaque fait suite, entre autres, à celle du 10 mai 2022. Au cours de celle-ci, les groupes extrémistes violents auraient ciblé un poste de sécurité au Nord, à la frontière avec le Burkina Faso, faisant huit (8) morts[3]. De nombreux événements du même genre sont survenus depuis 2017 au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Ghana[4]. Ces attaques à répétition témoignent de l’expansion de l’insécurité vers ces pays depuis le Sahel et le bassin du lac Tchad. Ce développement s’explique tant par la pression exercée par les militaires sur ces groupes que par leur développement territorial pour certains d’entre eux. Les zones transfrontalières[5] allant de l’Est du Sénégal au bassin du lac Tchad en passant par le Sud du Liptako-Gourma sont particulièrement visées.
Dénoncée dès 2018 par des experts[6], l’aggravation de la situation sécuritaire dans les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest fait craindre le pire[7]. Les groupes extrémistes violents peuvent possiblement y trouver un terreau fertile, notamment au regard d’une cohésion sociale parfois faible, d’une gouvernance locale effacée et d’un manque de présence de l’État central. Toutefois, l’heure est encore à l’optimisme. Des réponses peuvent être apportées localement afin d’éviter que la situation ne s’aggrave et que les pays côtiers ne deviennent eux aussi des foyers de conflits violents. Dans le cas contraire, le projet d’expansion d’Al-Qaïda du Sahel vers le golfe de Guinée pourrait bel et bien voir le jour.[8]

État des lieux : des incidents sécuritaires de plus en plus récurrents
Les régions transfrontalières allant du Sénégal au bassin du lac Tchad ont toujours été marquées par une insécurité « résiduelle »[9]. Aujourd’hui, la nouveauté tient au fait que l’on assiste à des incidents qui se multiplient et indiquent une pression des groupes armés vers les pays côtiers sous forme d’incursions ou d’attaques coordonnées à grande échelle contre des cibles stratégiques[10]. Cette tendance est confirmée par ACLED dans la figure ci-dessous.

La Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus affectés par cette poussée vers le sud des groupes venant généralement du Sahel-Central comme tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Revendiquée par AQMI, l’une des attaques les plus importantes qu’a connu ce pays s’est tenue à Grand Bassam en remonte à novembre 2016 avec un bilan de 16 morts[11]. Aujourd’hui, la menace semble se concentrer au nord du pays, à la frontière avec le Mali et le Burkina Faso, et cible principalement les FDS. De 2020 à 2021, au moins 18 membres des FDS ont perdu la vie dans des attentats à Kafolo, Kolobougou, et Tougbo dans le Nord du pays[12]. À la frontière avec le Burkina Faso, les tactiques ainsi que les armes des groupes extrémistes violents présents dans la région de Bounkani ont également évolué, avec l’utilisation d’engins explosifs improvisés (EEI). Le 12 juin 2021, trois soldats ont péri lors du passage de leur véhicule militaire sur un EEI sur l’axe Téhini-Togolokaye, près de la frontière avec le Burkina Faso[13] [14].
Des groupes d’extrémisme violent se sont aussi manifestés récemment au Nord du Bénin, notamment à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso. Les attaques sont surtout concentrées dans la zone du complexe W-Arly-Pendjari[15]. La plus récente, , au cours de laquelle au moins trois militaires ont été tués par une mine artisanale, remonte au 11 avril 2022[16]. À cette violence vient s’ajouter à d’autres conflits plus endogènes entre agriculteurs et éleveurs dans cette même zone[17].
Pour sa part, le Togo a subi sa toute première attaque à un poste de sécurité dans le village de Sanloaga, à la frontière avec le Burkina Faso dans le septentrion du pays, le 9 novembre 2021. Bien que pour le moment ils soient moins touchés, le Ghana, le Sénégal et la Guinée ne sont pas entièrement à l’abri d’attaques liées aux groupes extrémistes violents. À la frontière entre le Sénégal et le Mali des incidents ont déjà été enregistrés. Côté malien, dans la région de Kayes, une attaque contre un poste militaire a fait au moins cinq soldats tués en septembre 2021[18]. Ces événements sont révélateurs non seulement de la présence de groupes extrémistes violents mais aussi de groupes criminels dans la région, ce qui est susceptible d’impacter le Sénégal, notamment les régions de Tambacounda et de Kédougou[19]. L’attaque du 5 juillet 2021 contre des orpailleurs dans la localité de Djindji Bassari, située à 30 km de Kédougou, illustre bien les dangers que cette expansion peut représenter pour le Sénégal.
Les causes profondes de ces attaques qui se multiplient dans ces zones transfrontalières sont à chercher du côté de tensions sociales persistantes ainsi que de modes de gouvernance et de gestion de conflits le plus souvent inadéquats. En définitive, à de rares exceptions près, le facteur religieux est rarement le premier facteur poussant les populations vers la radicalisation et la violence. À contrario, la pauvreté et le désœuvrement, tout comme le sentiment d’injustice, poussent les individus vers les groupes armés violents, que leur motivation soit criminelle ou religieuse. Ici, les jeunes sont des cibles faciles pour ces bandes souvent en recherche de main d’œuvre.
Le terreau fertile à l’implantation des armées
Les zones transfrontalières, tout comme les zones de conflits tels que le Liptako-Gourma et le bassin du lac Tchad, font face à des tensions sociales fortes. Celles-ci se manifestent de trois façons et varient d’une zone à l’autre. La première manifestation de ces tensions est intercommunautaire, menant à plusieurs affrontements. A la frontière entre le Mali et le Sénégal, par exemple, c’est surtout un conflit à caractère historique qui existe “entre ceux qui se voient comme des maîtres et ceux qui sont considérés comme des esclaves”[20]. Cette question est l’un des sujets alimentant la polarisation locale entre les communautés. Selon les données recueillies dans la région de Kayes, les conflits liés à l’esclavage représentent 7% de la conflictualité dans la zone[21]. Cette dynamique a aussi été observée dans la région de Sikasso, à la frontière avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire[22].
Malgré les efforts consentis par différents acteurs, dont le gouvernement du Mali, la question de l’esclavage perdure. En juillet 2021, des experts des droits de l’Homme indépendants de l’ONU ont appelé l’État malien à “prévenir les attaques contre les soi-disant esclaves, affirmant que ces incidents sont en augmentation, avec deux fois plus de personnes blessées [en 2021] qu’en 2020”[23].
Or, à date, le gouvernement ne semble pas encore avoir une politique permettant de traiter efficacement cette question, qui est un tabou pour une importante partie de la population[24]. Les groupes extrémistes violents peuvent exploiter insidieusement la question de l’esclavage pour accroitre la polarisation communautaire et se faire des alliés. En particulier, les frustrations qui en résultent des violences liées à l’esclavage par ascendance peuvent servir de brèches exploitables aux groupes extrémistes pour s’étendre au-delà du Sahel.
Le deuxième défi identifié dans les zones transfrontalières des pays côtiers est principalement lié à l’accès aux ressources naturelles. Force est de constater que celui-ci est souvent peu équitable, ce qui provoque du ressentiment pouvant se transformer en colère violente. Les conflits autour des ressources sont une autre cause apodictique de tensions sociales. Certes, ce type de conflit n’est pas nouveau mais est largement influencé par des nouvelles dynamiques comme la circulation des armes et les changements climatiques[25].
Autre point qu’il faut considérer : la raréfaction des ressources naturelles et des terres arables, conséquence du changement climatique et de la poussée démographique. Basés sur une culture de subsistance, les modes traditionnels d’accès et de gestion des ressources naturelles ont été bouleversés. Si les mécanismes traditionnels ont longtemps guidé les rapports sociaux en matière de gestion de ces ressources, aujourd’hui, ils ne sont plus suffisamment efficaces face à l’accroissement de la demande[26]. Par exemple, dans des zones comme Gogui dans la région de Kayes au Mali ou à Maradi au Niger et le long du complexe régional W-Arly-Pendjari, la délimitation des terres fait naître de nombreuses tensions. Dans nombre de cas, les mesures de protection de ces aires protégées sont incomprises par les communautés locales. Il y a une forte contradiction entre la conception traditionnelle de l’environnement fortement ancrée dans la communauté et les mesures juridiques de lutte contre le braconnage, la chasse ou le passage des animaux. Lorsqu’elles ne sont pas traitées, celles-ci ces tensions s’enracinent durablement dans les communautés concernées et se transforment alors en conflits plus complexes entre groupes socio-professionnels, notamment entre agriculteurs et éleveurs[27]. Une étude menée par Search dans la région soudano-sahélienne en 2020 montre que les rivalités entre les groupes socio-professionnels, notamment agriculteurs et éleveurs, reposent davantage sur le changement climatique que sur une divergence fondamentale entre groupes ethniques[28]. Les conflits autour des ressources ne sont pas sans conséquence humaine sur les communautés locales. A Sikasso, un affrontement a conduit à la mort d’au moins deux personnes en janvier 2020[29].
Là encore, ce n’est pas la première fois que les tensions autour des ressources naturelles permettent à des groupes armés de s’implanter en Afrique de l’Ouest. Dans le Sahel central, les questions liées aux ressources ont été au cœur de la stratégie d’Amadou Koufa, chef de la katiba Macina, un groupe affilié au Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, pour se faire entendre des communautés transfrontalières dans le Liptako Gourma. C’est également le cas dans le bassin du lac Tchad, où Boko Haram a su se faire des alliés en insistant sur un partage équitable des ressources naturelles[30]. Dans les zones frontalières entre les pays sahéliens et ceux de la côte de l’Afrique de l’Ouest, les conflits autour de ressources alimentent un climat favorable à l’implantation rapide des groupes armés vers les pays côtiers. Or, cette situation doit être le plus en amont possible sous peine que les braises n’allument un brasier plus difficile encore à éteindre.
Une gouvernance locale en souffrance
La question de la gouvernance est au cœur des dynamiques conflictuelles, notamment dans les zones transfrontalières. L’évolution du contexte dans ces territoires, notamment avec la pression des groupes armés violents, les changements climatiques et n’a pas été suivie de politiques adaptées et ajustées. Parmi les questions les plus épineuses, il est possible d’en citer deux dont l’accès à la justice et le rapport de l’État central avec ses administrés, en particulier les groupes les plus vulnérables comme les femmes et les jeunes. Alors que le désir de la jeunesse pour des sociétés paisibles, plus sûres, saines et inclusives s’accroît, notamment du fait de la proportion de celle-ci par rapport à la population générale, il n’y a pas de politique effective pour répondre à cette demande.
Il faut dorénavant prendre en compte dans l’analyse un autre facteur lié à l’innovation technologique et à la diffusion massive de certains équipements de communication en Afrique. Représentant plus de 65% de la population ouest-africaine, la jeunesse en constitue la partie la plus connectée. Ce faisant, en temps quasi réel, elle suit l’évolution du monde, tout particulièrement à travers l’accès aux réseaux sociaux. Cette fenêtre « numérique » sur l’ailleurs a eu pour effet de transformer les aspirations de la jeunesse. Désormais, beaucoup ont pris conscience de ce à quoi ils pouvaient eux aussi prétendre. Dès lors, la jeunesse 2.0 réclament plus de droits et de liberté ainsi qu’un rôle plus actif dans la gestion des affaires de la cité.
Le besoin de justice est confronté à un mécanisme judiciaire qui passe à côté de nombreux facteurs sociaux et culturels. Même lorsqu’ils sont réglés judiciairement ou juridiquement, certains conflits opposent des factions et des clans depuis des décennies, dans des dimensions qui vont au-delà du seul domaine du droit civil. Aussi, de nombreuses communautés entretiennent un rapport hostile avec la justice, qu’elles considèrent comme la voie du plus fort et réservée à l’élite. Une étude menée par Search dans les régions du sud-ouest du Mali montre que 67% des interviewés considèrent que la justice formelle fonctionne correctement, contre 33% qui pensent le contraire. Pour ces derniers, les autorités judiciaires doivent faire preuve de plus d’intégrité et d’impartialité dans l’exercice de leurs fonctions pour renouer les relations de confiance avec les communautés. Pour eux, sans ces améliorations, les procédures de justice n’ont pas de valeur ajoutée pour les populations[31].
Si la crise n’en est qu’à ses débuts dans les pays côtiers, il est déjà possible d’en tirer quelques leçons. Des parties de zones transfrontalières sont frappées par la corruption ce qui nuit à une relation de confiance entre l’État et ses citoyens. Les questions des “rackets” sont au cœur de la défiance des communautés locales envers les représentants malgré les dispositions prises au sein des communautés économiques comme la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui garantissent la libre circulation des personnes et des biens[32] [33].
Il faut également mentionner l’existence d’une fracture en matière de gouvernance des ressources naturelles, notamment en matière d’exploitation des sites d’orpaillage. Cette dernière s’est considérablement creusée en raison, d’une part, des effets conjugués de la situation économique difficile du pays et, d’autre part, de l’augmentation du prix de l’or sur le marché international[34].
Les zones traditionnelles d’orpaillage du Mali, situées dans les régions de Kayes, Koulikoro et Sikasso, l’extrême Sud-Ouest du Niger, et dans le Centre-Sud du pays (Maradi) enregistrent donc un afflux de personnes qui veulent se lancer dans une activité réputée pour être porteuse de gains considérables en peu de temps. Les conséquences en sont dramatiques : déboisement et déforestation, destruction du sol par les nombres puits creusés et souvent abandonnés, utilisation des produits chimiques pouvant contaminer les nappes phréatiques par infiltration, lieu propice pour la dépravation des mœurs, l’utilisation des stupéfiants par les orpailleurs et affrontements souvent sanglants[35].
Par ailleurs, ces zones sont d’une importance stratégique pour les groupes extrémistes violents notamment pour le financement de leurs activités[36]. Les tensions autour des zones aurifères, notamment celles liées à la dégradation de l’environnement, à la gouvernance locale, à la circulation d’armes, constituent une opportunité manifeste pour les groupes extrémistes violents de s’implanter.
La persistance et les limites du «tout militaire»
Face à l’expansion de l’insécurité vers les pays côtiers, il est important d’adopter des réponses plus à même d’éradiquer les causes profondes mentionnées ci-dessus. Toutefois, pour l’heure, la réponse militaire semble avoir pris le dessus. En effet, selon l’armée burkinabè, dès le mois de mai 2018, plus de 200 personnes, dont certaines soupçonnées de faire partie des groupes extrémistes violents, ont été arrêtées lors d’une opération de sécurité conjointe entre le Burkina Faso, le Bénin, le Ghana et le Togo[37].
Cette opération a été menée dans le cadre de l’initiative d’Accra créée en 2017 sur le modèle du G5 Sahel. En effet, l’initiative a pour objectif de “renforcer la coopération en matière de sécurité et de partage de renseignements entre les pays signataires”. L’opération « Koundalgou », dont la quatrième phase s’est déroulée du 21 au 27 novembre 2021 avec plus de 5 720 soldats, a permis l’arrestation de 300 suspects et la saisie d’importants stocks d’armes et de munitions[38]. Dans le même ordre d’idée, le Togo a adopté, sa première loi de programmation militaire pour la période de 2021 à 2025, qui prévoit de consacrer 722 milliards de F CFA au renforcement des équipements de ses forces armées[39].
La Côte d’Ivoire a quant à elle débuté un déploiement militaire accru dans le Nord et mène régulièrement des opérations conjointes avec les pays voisins. La présence militaire ivoirienne a également été renforcée dans la zone Est. Depuis les menaces d’attaques en 2020, une base militaire a été installée dans la ville de Tengrela près de frontière avec le Mali. Une zone sous étroite surveillance et qui semble pour l’heure relativement épargnée. La vigilance est de mise aussi du côté de la frontière avec le Burkina Faso. C’est là que plusieurs soldats et gendarmes ont été pris pour cible ces derniers mois, notamment à Kafolo, où 14 soldats avaient été tués en juin 2020. La région est située près du parc de la Comoé, une immense forêt qui sert de base arrière pour des groupes djihadistes, selon des sources sécuritaires[40].
Le débordement de la crise dans les États littoraux est révélateur des limites du ‘tout militaire’. Souvent d’ailleurs, l’emploi de la force semble davantage participer d’une opération de communication de gouvernements. Dans ce cas de figure, le déploiement de militaires permet aux décideurs politiques de montrer à leurs populations qu’ils ne restent pas inactifs. Pour autant, les communautés sont de moins en moins dupent et réclament que les causes profondes de l’origine de la violence soient traitées (par l’accès à la santé, l’éducation, la justice, etc.). De fait, au Sahel et dans le bassin du lac Tchad, une focalisation excessive sur la réponse militaire au détriment d’une approche plus holistique (qui adresse les causes profondes du conflit) n’a donné lieu qu’à des succès tactiques temporaires au lieu d’un gain stratégique à long terme. Des réponses plus adaptées au contexte doivent être trouvées pour limiter l’expansion de l’insécurité vers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest et contribuer à la paix et à la stabilité de la région[41].
Recommandations pour une prévention adaptée dans les zones à risque
- Les pays côtiers, notamment la Cote d’Ivoire, le Togo et le Bénin ainsi que les partenaires internationaux doivent mettre au cœur de leurs stratégies une approche holistique axée sur la protection des civils. Cette approche doit être à la fois élargie à tous les autres acteurs, comme les ONGs, et approfondie à tout le maillage du problème impliquant des causes profondes de cette expansion de l’insécurité vers ces pays. La menace n’étant pas seulement militaire, seule une approche intégrée prenant en compte les causes sociétales de l’insécurité peut permettre des résultats efficaces. Les réseaux d’organisations de la société civile représentent une grande opportunité régionale pour tirer des leçons du Sahel. Par exemple, la Coalition citoyenne pour le Sahel a pour priorité de «placer la protection des populations au cœur de leur action, de s’attaquer aux causes profondes des conflits et de l’insécurité, de répondre à l’urgence humanitaire et de lutter contre l’impunité ».
- La nature des conflits démontre la nécessité de prendre des décisions pragmatiques et éclairées en matière d’inclusion. La question sensible de l’esclavage exige, par exemple, un engagement des autorités à tous les niveaux. Après des années d’interventions sur les questions d’inclusion, les programmes de Search montrent qu’elles peuvent permettre aux communautés de vivre en harmonie dans leurs localités. De plus, il faut veiller au renforcement et à l’application des politiques et engagements pris par l’État sur le plan national et international en faveur des couches les plus vulnérables comme les jeunes et les femmes (par exemple la loi 052 portant promotion du genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives ou la loi contre les violences basées sur le genre au Mali) et faire plus de plaidoyer auprès des décideurs pour que les femmes puissent être réellement impliquées dans le processus de paix.
- Favoriser la collaboration transfrontalière de la société civile. La technologie offre des opportunités de collaboration transfrontalière comme on l’a vu depuis le début de la Covid-19. Une meilleure collaboration au sein de la société civile peut réduire les clivages politiques qui se dessinent dans ces pays du Sahel et du Littoral. Dans ce cas, les associations professionnelles et les réseaux de la société civile s’efforcent de combler le fossé entre les prises de décisions politiques centralisées et les communautés locales. A l’échelle du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest par exemple, Search initie un Forum (réseaux) les défis et opportunités liés au “boom” du numérique dans une région qui fait déjà face à l’insécurité. Ce réseau réunit des universitaires, la société civile et les représentants des associations des praticiens pour partager des recherches et mener des actions de plaidoyer conjointes.
- Renforcer la cohésion sociale au sein des communautés. Promouvoir la cohésion sociale et la consolidation de la paix en multipliant les actions de sensibilisation auprès des communautés, les rencontres d’échanges avec toutes parties prenantes en vue de créer les conditions idoines pour un bon vivre. Les acteurs étatiques comme la société civile ont leur rôle à jouer de ce point de vue, comme le montrent certaines initiatives en cours. Par exemple, en mars 2022, la banque mondiale a annoncé un investissement régional de 450 millions de dollars dans les régions septentrionales des pays du golfe de Guinée (Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana, et Togo) visant à renforcer la confiance et la résilience par la cohésion sociale. Search a dans le cadre de son programme de résilience et de cohésion sociale au Sahel (PROGRESS) intervient dans les régions frontalières les plus fragiles entre le Mali, le Burkina-Faso et le Niger et collabore avec des partenaires humanitaires et de développement, organisations locales et internationales, pour renforcer la cohésion et la résilience à long terme de manière horizontale (intercommunautaire) et verticale (État-populations) en contribuant à l’amélioration les conditions de vie dans un contexte de conflit et de vulnérabilité.
- Favoriser la prise en compte systématique de la sensibilité des conflits au niveau local. Les interventions des États dans les communautés locales peuvent saisir les opportunités qu’offrent la décentralisation et les actions de la société civile locale (associations d’agriculteurs, d’éleveurs, des jeunes et des femmes, etc.). C’est le lieu de tenir compte des sensibilités des dynamiques locales en renforçant les liens de co-construction de la paix tout en mitigeant les facteurs de division. Les bailleurs internationaux devraient axer leurs interventions sur le renforcement des plans locaux de développement. Les interventions d’organisations non gouvernementales doivent quant à elles se baser sur des connaissances approfondies du contexte. Search intègre cette composante dans ses interventions en travaillant pour développer des cadres de gouvernance locale participatifs, inclusifs et réactifs par la formation de mobilisateurs communautaires et la facilitation du dialogue mené par les communautés locales.
- Nécessite une meilleure coordination dans le cadre d’une approche transnationale. Les solutions au cas par cas ne doivent pas exclure des approches plus stratégiques et impliquant les acteurs locaux, nationaux, régionaux et internationaux. Une meilleure harmonisation d’approches entre l’Union Africaine, la CEDEAO, le G5 Sahel et l’initiative d’Accra pourrait par exemple servir de cadre de partages d’expériences important pour la sous-région. L’existence d’un tel cadre pourrait aussi faciliter la collaboration avec les initiatives locales, nationales et régionales de la société civile, ainsi que la coopération avec les partenaires techniques.
BIBLIOGRAPHIE
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- Benjamin Roger, « Projet jihadiste en Côte d’Ivoire et au Bénin : opération de communication ou coup de pression de la DGSE ? », Jeune Afrique, 4 février 2021
- Blamé Ekoué, « Antiterrorisme : l’Afrique de l’Ouest vers plus de solutions endogènes ? », Le Point, 06/05/2022
- Crisis Group, « Reprendre en main la ruée vers l’or au Sahel central », Rapport N0 282, Afrique, 13 Novembre 2019
- Elysée Martin Atangana, « Le Bassin du Lac Tchad face aux nouvelles formes de menace : La difficile dynamique de réponse régionale face à la montée en puissance du groupe terroriste islamiste Boko Haram », Avril 2017
- Galy Michel, « Les espaces de la guerre en Afrique de l’Ouest », Hérodote, 2003/4 (N°111), p. 41-56. DOI : 10.3917/her.111.0041
- Kars de Bruijne, « Loi de l’attraction : Le nord du Bénin et le risque de propagation de l’extrémisme violent », 10 juin 2021
- Le Temps, Togo : « Une quinzaine » d’assaillants tués dans une attaque «terroriste», selon le gouvernement, Le Temps, mai 2022
- Leif Brottem, The Growing Threat of Violent Extremism in Coastal West Africa, Africa Center for Strategic Studies, March 15, 2022
- Marie Rodet, « Pourquoi l’“esclavage par ascendance” subsiste encore au Mali », The Conversation, 11 mars 2021
- Marie Toulemonde, Jihadisme au Sahel : l’inexorable descente vers le Golfe de Guinée, Jeune Afrique, 7 juillet 2022, https://www.jeuneafrique.com/1358991/politique/jihadisme-au-sahel-linexorable-descente-vers-le-golfe-de-guinee/
- Mathieu Pellerin, « Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Nouvelle terre d’expansion des groupes djihadistes sahéliens ? », Notes de l’Ifri, Ifri, février 2022
- Michael Matongbada, « Éviter que la menace terroriste ne gagne la côte ouest-africaine », ISS, Octobre 2018
- Mike Jobbins, « Pastoralisme et conflit : outils de prévention et d’intervention dans la région soudano-sahélienne », Search for Common Ground, 2021
- Paulin Maurice Toupane, et al., « Prévenir l’extrémisme violent au Sénégal : Les menaces liées à l’exploitation aurifère », décembre 2021
- Sampson Kwarkye, « Attentats terroristes sur les côtes ouest-africaines : la partie émergée de l’iceberg », ISS, 9 mars 2022
- William Assanvo et al., « Extrémisme violent, criminalité organisée et conflits locaux dans le Liptako-Gourma », ISS, 10 Décembre 2019
[1] Même si elle se base sur des données collectées dans le cadre de certains de nos projets, la teneur et le contenu n’engagent que les auteurs de l’analyse.
[2] VOA, Nouvelle attaque « terroriste » repoussée dans le nord du Togo, 23 août 2022, https://www.voaafrique.com/a/togo-nouvelle-attaque-terroriste-repouss%C3%A9e-dans-le-nord/6713204.html
[3] Le Temps, Togo : «une quinzaine» d’assaillants tués dans une attaque «terroriste», selon le gouvernement, consulté le mai 2022, https://www.letemps.ch/monde/togo-une-quinzaine-dassaillants-tues-une-attaque-terroriste-selon-gouvernement
[4] Dans cette note, « pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest” ou “pays côtiers » fait référence au Sénégal, à la Guinée, à la Côte d’Ivoire, au Togo et au Bénin. Ils sont également appelés aussi “Pays du golfe de Guinée”. Voir aussi : Wakatsera, Ghana: au moins cinq terroristes tués sur une première attaque enregistrée, 18 août 2022, https://www.wakatsera.com/ghana-au-moins-cinq-terroristes-tues-sur-une-premiere-attaque-enregistree/
[5] Mathieu Pellerin, « Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Nouvelle terre d’expansion des groupes djihadistes sahéliens ? », Notes de l’Ifri, Ifri, février 2022
[6] Michael Matongbada, Éviter que la menace terroriste ne gagne la côte ouest-africaine, ISS, Octobre 2018
[7] Mathieu Pellerin, Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Nouvelle terre d’expansion des groupes djihadistes sahéliens ?, Notes de l’Ifri, février 2022
[8] Benjamin Roger, « Projet » djihadiste en Côte d’Ivoire et au Bénin : opération de communication ou coup de pression de la DGSE ?, Jeune Afrique, 4 février 2021. Voir aussi Sampson Kwarkye, Attentats terroristes sur les côtes ouest-africaines : la partie émergée de l’iceberg, ISS, 9 mars 2022
[9] Entretien, Search for Common Ground, Projet On est ensemble : la jeunesse unie pour un Mali stable, 2021
[10] VOA, Un policier tué dans l’attaque d’un commissariat au nord du Bénin, 27 avril 2022
[11] Baudelaire Mieu, Côte d’Ivoire : Aqmi revendique l’attaque de Grand-Bassam, Jeune Afrique, 13 mars 2016
[12] Nord de la Côte d’Ivoire : nouvelles menaces djihadistes, anciens réseaux criminels, Bulletin de risque numéro 1, septembre 2021
[13] Côte d’Ivoire : Deuxième attaque djihadiste en moins d’une semaine à la frontière burkinabé
[14] Héni Nsaibia, Persistent, expanding, and escalating instability, Acled
[15] Kars de Bruijne, Loi de l’attraction : Le nord du Bénin et le risque de propagation de l’extrémisme violent, 10 juin 2021,https://www.clingendael.org/sites/default/files/2021-08/laws-of-attraction.pdf
[16] Jeune Afrique, Bénin : le parc de la Pendjari est la cible d’une nouvelle attaque terroriste, 12 avril 2022
[17] Kars de Bruijne, « Loi de l’attraction : Le nord du Bénin et le risque de propagation de l’extrémisme violent », 10 juin 2021
[18] Fatma Bendhaou, Mali : 5 soldats tués dans une attaque dans le sud du pays, Anadolu Agency, 28 septembre 2021
[19] Paulin Maurice Toupane, et al., Prévenir l’extrémisme violent au Sénégal : Les menaces liées à l’exploitation aurifère, décembre 2021
[20] Galy Michel, « Les espaces de la guerre en Afrique de l’Ouest », Hérodote, 2003/4 (N°111), p. 41-56. DOI : 10.3917/her.111.0041. URL : https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-4-page-41.htm
[21] Etude de base du projet “On est ensemble”
[22] Etude de base du projet “On est ensemble”
[23] Marie Rodet, Pourquoi l’« esclavage par ascendance » subsiste encore au Mali, The Conversation, 11 mars 2021
[24] Marie Rodet, Pourquoi l’« esclavage par ascendance » subsiste encore au Mali, The Conversation, 11 mars 2021
[25] William Assanvo et al., Extrémisme violent, criminalité organisée et conflits locaux dans le Liptako-Gourma, ISS, 10 Décembre 2019
[26] Etude de base du projet “On est ensemble”
[27] Mike Jobbins, Pastoralisme et conflit : outils de prévention et d’intervention dans la région soudano-sahélienne, Search for Common Ground, 2021
[28] Mike Jobbins, Pastoralisme et conflit : outils de prévention et d’intervention dans la région soudano-sahélienne, Search for Common Ground, 2021
[29] International Alert, Maintenir la paix et la stabilité dans la région de Sikasso au Mali Stratégies pour endiguer les conflits fonciers, 2020
[30] Elysée Martin Atangana, Le Bassin du Lac Tchad face aux nouvelles formes de menace : La difficile dynamique de réponse régionale face à la montée en puissance du groupe terroriste islamiste Boko Haram, Avril, 2017
[31] Etude de base du projet “On est ensemble”
[32]Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements.
[33] Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest, Protocole sur la lutte contre la corruption, Décembre 2021.
[34] Crisis Group, Reprendre en main la ruée vers l’or au Sahel central,REPORT 282 / AFRICA 13 Novembre 2019.
[35] Fahiraman Rodrigue Koné et Nadia Adam, L’orpaillage dans l’ouest du Mali menace la sécurité humaine, ISS, juillet 2021
[36] Fahiraman Rodrigue Koné et Nadia Adam, L’or de l’ouest Malien : une aubaine pour des groupes terroristes ?, ISS, avril 2021
[37]Vox Africa, Au moins 200 arrestations dans une opération conjointe Burkina-Ghana-Bénin-Togo, 19 mai 2018.
[38]Blamé Ekoué, Antiterrorisme : l’Afrique de l’Ouest vers plus de solutions endogènes ? Le Point, 06/05/2022.
[39]Jeune Afrique, Togo : comment Faure Gnassingbé muscle la lutte antiterroriste,
[40] FranceInfo,Comment la Côte d’Ivoire fait face à la menace terroriste à ses frontières,26/11/2012.
[41] Mathieu Pellerin, « Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Nouvelle terre d’expansion des groupes djihadistes sahéliens ? », Notes de l’Ifri, Ifri, février 2022.
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